Un peu plus de deux semaines après les sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA (fermeture des frontières terrestres et aériennes avec le Mali , blocus financier…) les travailleurs se plaignent des conséquences de ces mesures . Les prix de certaines denrées ont fortement augmenté alors que les salaires restent les mêmes. C’est ce qu’explique Simpara Aïssata Keïta, secrétaire générale adjointe de la Centrale démocratique des travailleurs du Mali (CDTM) . Elle est interrogée depuis Bamako par Lilianne Nyatcha.
Comment les sanctions de la CEDEAO affectent-elles les travailleurs du Mali ?
Les sanctions de la CEDEAO affecteront les travailleurs du Mali quand le gouvernement n’arrivera plus à les payer. Au niveau du privé, ils pourront avoir des problèmes à cause de la fermeture des frontières.
Donc, vous voulez dire que pour le moment les travailleurs ne subissent aucune conséquence des sanctions imposées par la CEDEAO et l’UEMOA ?
Au niveau de l’État, ils ont déjà mis tout le monde à l’aise en disant que les choses vont aller très bien. Et en tout cas, pour le moment, on n’a pas senti d’impact. Franchement. Mais l’impact négatif, c’est au niveau des produits. A cause de l’arrêt des denrées de première nécessité dû à la fermeture des frontières, il y a des commerçants qui ont commencé à augmenter les prix. Ce sont ces flambées de prix qui causent vraiment des problèmes aux travailleurs. Et là, c’est un sérieux souci que le gouvernement essaie de gérer. Mais ça ne tient pas à leur compétence parce que le secteur privé étant ce qu’il est. C’est un sérieux problème.
Les prix de ces denrées flambent alors que ce n’est pas le cas pour les salaires des travailleurs. Comment gèrent-ils cette situation ?
On n’a pas le choix. Parce qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Ça te tombe dessus, tu ne maîtrises pas. On ne peut pas obliger les commerçants à réduire les prix et l’État n’a pas prévu de subventions pour aider les travailleurs. Si par exemple, tu dépensais 5.000francs CFA par jour, aujourd’hui tu peux aller jusqu’à 10.000francs CFA. Les prix ont doublé sinon triplé.
Vous-même, êtes opératrice économique, quelles incidences a cette situation sur vos activités ?
L’incidence est énorme. Déjà, nous en tant qu’opérateurs économiques, on assiste à une situation où certains montent des prix, ou cachent les produits. Nous, par exemple, on travaille avec des crédits, ces derniers temps on a constaté que même au niveau des zones rurales les gens remarquent qu’il faut faire de la surenchère. C’est-à-dire, augmenter les prix des matières premières, ou bien les fermer carrément. On ne sait pas ce qu’on peut dire parce qu’on n’a aucune maîtrise.
Avant par exemple, les produits finis étaient vendus au niveau des pays limitrophes dans la zone CEDEAO et UEMOA, aujourd’hui on ne peut pas sortir avec. Les produits sont là, ils ne sont pas vendus. Donc s’il n’y a pas de vente, est-ce qu’on peut payer les salariés ? Non. Et il y a aussi les produits qui nous venaient de ces pays qu’on ne peut pas avoir maintenant. Le problème est à ces deux niveaux.
A combien estimez-vous vos pertes depuis l’application des sanctions de la CEDEAO et de l’UEMOA contre le Mali ?
Il y a des pertes, même si c’est pas énorme. Du moment où on n’arrive plus à atteindre notre rendement, c’est qu’il y a des pertes. Si on ne peut pas produire ce qu’on a l’habitude de produire, c’est qu’il y a des pertes. Moi j’ai l’habitude d’acheter des emballages par exemple dans la sous-région, à Accra par exemple, et si je ne peux plus avoir ces produits, ça peut me freiner. Pour que nos plannings puissent fonctionner, il faut qu’on puisse avoir ces produits, sinon les calculs sont faussés. Un ou deux mois manqués, ça se répercute sur toute l’année.
Comment appréciez-vous les initiatives jusqu’ici prises par le gouvernement de transition pour faire face à ces sanctions sous-régionales ?
Ce que le gouvernement pouvait faire, c’était de prendre des dispositions avec des partenaires qui l’ont soutenu. Mais en même temps, le gouvernement ne peut pas soutenir et appuyer tout le monde. Par exemple, il faut privilégier les secteurs de la sécurité alimentaire, de la pharmacie, de l’hydrocarbure, de l’électricité etc. Mais il y a des acteurs du secteur privé que l’État ne peut pas joindre qui travaillent sur fonds propres. L’État ne peut même pas diminuer les impôts car c’est ce qui soutient l’économie au Mali actuellement.
Quelle réponse la CDTM apporte-t-elle aux travailleurs pour diminuer les conséquences de ces sanctions sous-régionales ?
La CDTM est composée de plus de 13 syndicats nationaux. Et parmi eux, nous en avons qui défendent les artisans, les bouchers etc. Ce qu’on leur a dit, c’est de voir comment ils peuvent s’épauler pour qu’on puisse passer cette période difficile. Nous faisons beaucoup de sensibilisation par rapport à l’augmentation des prix des denrées alimentaires. Par exemple, nous pouvons aller voir un commerçant, lui demander des sacs de riz qu’on va rembourser après la crise. Qu’ils soient solidaires, c’est ce qu’on met en avant de tout.
Par Lilianne Nyatcha / Africa Radio Paris