Mali : « Enlevé en même temps que Soumaïla Cissé, voilà ce que j’ai vu », témoignage exclusif d’un membre de la délégation

Plongée dans un témoignage fort. Celui d’Abdoulaye* à propos de l’enlèvement du chef de l’opposition malienne, de la vie avec les djihadistes aux négociations.

« On est partis de Saraféré aux alentours de 15 heures avec 2 véhicules. La voiture de l’honorable Soumaïla Cissé était en tête. À 5 km de Koumaïra, on a entendu des coups de feu venant de devant, contre le véhicule de Soumaïla », retrace un des membres (nous allons l’appeler Abdoulaye) de la délégation, kidnappé avec le chef de l’opposition et retenu captif pendant des jours en forêt.

« En quelques secondes, nous avons été entourés par de nombreux combattants armés. Ils tiraient vers le haut, des tirs de sommation, et d’autres tiraient sur les véhicules en criant « Allahou Akbar, Allahou akbar ! ».

Pendant les coups de feu, on s’est aplatis derrière les sièges. Puis, ils ont ouvert les voitures et nous ont dit de sortir et de nous allonger par terre. On a eu 3 blessés, dont le garde du corps, qui est décédé. Soumaïla a été blessé à la main par des éclats de vitre. Il est resté très calme durant l’attaque et nous disait de ne pas paniquer, de faire tout ce qu’ils demandent.

Quelques minutes plus tard, ils l’ont pris et emmené à moto. On ne l’a plus revu depuis. Ils nous ont séparés en deux groupes, nous ont bandé les yeux et nous sommes repartis en voiture », ajoute-t-il.

L’assurance avait pourtant été donnée quant aux conditions de sécurité

Le 25 mars dernier, il n’aura fallu qu’une poignée de minutes pour que le président de l’URD et chef de file de l’opposition disparaisse, kidnappé dans une opération spécifique le ciblant, alors que des élus locaux lui avaient garanti qu’il n’y aurait pas de problème pour se rendre à Koumaïra.

« Ils nous ont dit qu’on pouvait aller là-bas faire campagne, qu’il n’y avait rien, le maire de Koumaïra même nous a confirmé qu’on pouvait venir, qu’il n’y avait pas de danger et c’est pour cela que nous sommes partis, sans escorte militaire ou de la gendarmerie », poursuit Abdouakey.

Normalement, Soumaïla Cissé aurait pu bénéficier d’une escorte militaire du gouvernement pour battre campagne dans ces zones, mais le candidat aux législatives ne semblait pas en avoir besoin. « Il pensait qu’il pouvait aller faire campagne là-bas sans problème, car il avait des contacts avec des groupes armés dans cette zone.

Dans une partie du cercle, il était escorté par les éléments de la CPA (Coalition du peuple pour l’Azawad) et avait pu faire campagne à Léré, Soumpi et Dianké.

En se rendant dans le Gourma, il a jugé sage de ne pas partir avec cette escorte, sûrement après avoir reçu des assurances. Mais qu’un homme politique de sa stature ne soit parti qu’avec un seul garde du corps pour le protéger, c’est quand même dingue ! », s’étonne ce cadre politique natif de la zone qui pense que le maire de Koumaïra, Amadou Kalossi, actuellement retenu avec son adjoint par des ravisseurs du même groupe que ceux qui ont enlevé Soumaïla, a certainement joué à un jeu qui l’a totalement dépassé.

Une démarche de « deals » avec des groupes armés locaux

Dans cette campagne législative où chaque voix compte, il fallait aller au contact des populations, en brousse, dans ces nombreuses zones du pays où l’État est quasi absent et suscite parfois défiance et hostilité.

Une escorte de Famas assurant la protection d’un candidat en campagne dans ces territoires pourrait considérablement envenimer une situation sécuritaire locale déjà fortement dégradée et envoyer le mauvais signal si le candidat se pose en rupture avec la gouvernance actuelle.

Donc, chaque candidat s’est débrouillé pour faire sa campagne dans l’intérieur du pays, souvent en passant des « deals », avec des groupes armés locaux dont l’influence ou la puissance garantissent une certaine sécurité dans ces zones à haut risque.

Mais, dans cette partie du Gourma malien contrôlée par Hamadoun Kouffa, les assurances et les garanties données par les uns se sont effacées devant l’agenda du maître des lieux, qui en capturant cet enfant du terroir devenu le deuxième homme politique du pays, a obtenu un formidable moyen de pression sur le gouvernement malien.

Une journée avec les combattants armés

Il est tôt ce matin du 26 mars quand Abdoulaye est réveillé avec ses compagnons d’infortune dans un camp en forêt qui fourmille de combattants armés. « Il y avait des Bambaras, des Songhais et des Peuls parmi eux », se remémore l’ex-otage. « Ce n’était pas la Katiba Macina, car quand ils se sont présentés à nous, ils nous ont dit : « C’est Al-Qaïda ! ». »

Ses geôliers, qui disent ne pas aimer la démocratie et qui les somment de l’abandonner sont très à cheval sur les 5 prières quotidiennes et l’étude des versets du Coran, mais aussi soucieux du confort des prisonniers : « On se levait le matin, on priait, on apprenait le Coran, on mangeait, on dormait jusqu’à l’heure de prier et tout recommençait. On était vraiment bien traités et on pouvait manger ce que l’on voulait, des gâteaux, des beignets?, tout ! On avait de l’eau, du savon pour se laver. On dormait bien, sous les arbres, parce qu’ils nous ont donné des couvertures avec des moustiquaires », décrit Abdoulaye.

Des conditions de captivité correctes

Des conditions de vie en captivité qui peuvent surprendre si on oublie qu’Abdoulaye et ses compagnons revêtaient une certaine importance pour leurs ravisseurs. Ils pouvaient constituer une monnaie d’échange.

Donc leur état, leur sécurité et leur confort étaient logiquement une préoccupation pour les kidnappeurs car à travers eux, ils pouvaient obtenir certaines choses. « Pour ces djihadistes, un otage, c’est de l’or ! Ils mettent tous les moyens pour le protéger, parce que s’il arrive quelque chose à l’otage, ils ne gagneront rien », confirme cette source sécuritaire malienne.

Dans la vie au camp rythmée par la prière, une certaine routine s’installe peu à peu. Abdoulaye découvre assez rapidement qu’ils ne sont pas les seuls prisonniers ici. D’autres Maliens sont là, en captivité, « des civils, mais nous n’avons pas été en contact avec eux ».

Chaque jour les prisonniers questionnent les ravisseurs sur leur libération mais les combattants n’ont pas de réponse car cette décision n’appartient qu’au chef.

Des otages sont libérés, mais contre quoi ?

C’est plus d’une semaine plus tard que le chef les convoque et leur annonce qu’ils vont être libérés. Quelques heures de moto plus tard, à l’orée d’un village, ils sont abandonnés à leur nouvelle liberté, sans que l’on sache vraiment quel facteur a concouru à leur libération.

« Selon mon hypothèse, ils les ont libérés pour montrer leur bonne foi aux autorités et aussi parce qu’au niveau logistique, autant de personnes, ça devient vite lourd. Il y a une surveillance accrue des drones dans le ciel munis de missiles, ça génère de l’insécurité pour eux, donc il faut s’en séparer », analyse cette source sécuritaire.

Même avec le recul, Abdoulaye ne sait toujours pas pourquoi ses compagnons et lui ont été libérés. « Je n’ai vu en tout cas personne venir négocier au camp pour nous. Personnellement, nous croyons que ce sont les djihadistes qui ont décidé de nous libérer », souligne-t-il.

Des va-et-vient étonnants à Bamako

Peu de temps après la libération des otages, à Bamako, un étrange ballet se mettait en place entre la Maison centrale d’arrêt et la Sécurité d’État, comme le relate cet ex-haut fonctionnaire malien dans la capitale : « Il y a eu un jeu trouble de la Sécurité d’État (SE) ces derniers temps. Pas mal de prisonniers ont fait des allers-retours entre la Maison centrale d’arrêt et la SE. L’un des plus importants d’entre eux m’a été signalé, un certain Keïta, Souleymane Keïta, il a fait pas mal de ces va-et-vient. Mais, depuis que lui et d’autres ont été sortis, il n’y a pas eu de retour. C’est peut-être lié à la libération graduelle de la délégation de Soumaïla Cissé, mais ça m’étonnerait, ils n’étaient pas assez importants. »

Souleymane Keïta, djihadiste notoire, l’un des prisonniers les plus importants détenus à Bamako, proche d’Iyad Ag Ghaly et d’Hamadoun Kouffa, fondateur de la Katiba Khaled Ibn Walid ou Katiba Ansar Eddine du Sud, avait déjà été libéré sous un faux nom des geôles bamakoises en février 2019 dans le cadre des tractations visant à faire libérer le préfet de Tenenkou Makan Doumbia et le journaliste Issiaka Tamboura. Peu de temps après, il avait de nouveau été arrêté et mis au secret jusqu’à aujourd’hui.

Des tentatives de négociations tous azimuts

Depuis l’annonce de la disparition du chef de l’opposition Soumaïla Cissé, au sein de son parti politique, au gouvernement, sur le terrain dans la région de Tombouctou, on s’active à mettre « tout en œuvre pour le ramener sain et sauf ». De nombreuses tentatives individuelles de négociation, « une vingtaine », selon cet observateur, ont essayé de faire libérer le président de l’URD, des locaux pour la plupart qui connaissent ou sont liés peu ou prou à certains des ravisseurs et qui espèrent grâce à cela pouvoir résoudre le problème.

« Il y a l’imam Mahmoud Dicko, la cellule de crise de l’URD, la cellule de crise du gouvernement malien avec à sa tête Ousmane Issoufi Maiga, l’ex-Premier ministre, appuyé par la DGSE malienne et les canaux de Me Hassan Barry », détaille cet analyste malien. « Je ne suis pas officiellement un négociateur, mais je tente des choses par mes propres moyens », rectifie Me Barry, ancien ministre et avocat qui fut arrêté et détenu quelques heures par la DGSE en novembre dernier pour des liens présumés avec les djihadistes.

Du côté de la cellule de crise de l’URD où 11 personnes sont mobilisées pour tenter de faire libérer leur président, la multiplicité des interlocuteurs qui tente de négocier avec les ravisseurs déroute un peu, même si toute personne pouvant amener une solution est la bienvenue. « Nous sommes entrepris par des personnes ressources qui offrent leurs services. Pour le moment, on recueille des informations. À la date d’aujourd’hui, nous n’avons pas encore de retour des personnes qui sont parties prendre contact et négocier avec les ravisseurs. Les otages qui étaient du cercle de Niafunké sont arrivés à Bamako il y a peu et nous allons collecter toutes les informations qu’ils peuvent nous donner et qui pourraient nous aider dans ces négociations. »

L’imam Dicko, un homme qui pourrait être décisif

Pour nombre de Maliens, la libération de Soumaïla Cissé pourrait avoir lieu par l’entremise de l’imam Mahmoud Dicko, religieux célèbre et influent au Mali qui, en 2012, avait réussi la prouesse de faire libérer pas moins de 160 militaires maliens détenus par le chef D’Ansa Eddine, Iyad Ag Ghaly. « Je ne nie pas que les deux grandes figures qui sont dans cette affaire, Iyad Ag Ghaly et Hamadoun Kouffa, sont des gens que je connais personnellement et qui me connaissent aussi. Il y a un rapport de confiance. J’essaie d’établir un pont, chercher à trouver un tuyau quelconque pour faire parvenir un message à ceux qui sont susceptibles de donner l’ordre pour qu’il soit libéré. J’espère, si mon message leur parvient, qu’ils vont certainement réagir favorablement », escompte l’Imam Dicko, qui pourra utiliser la « ligne téléphonique ouverte » proposée par Ousmane Issoufi Maiga, si dans ces négociations survenait un élément déterminant ou un blocage nécessitant l’implication des autorités.

Des canaux gouvernementaux ?

Sur le terrain, ces négociations ont connu un temps mort à cause des affrontements qui ont éclaté ces dernières semaines entre les deux groupes rivaux que sont le JNIM et l’EIGS. cela a gêné les émissaires, négociateurs ou messagers censés faire les va-et-vient jusqu’à la zone isolée où ils se trouvent et où les téléphones comme les armes sont interdits.

« Je suis absolument convaincu que ces négociations se font ailleurs. Ousmane Issoufi Maiga n’a pas de moyens de converser dans cette zone avec qui que ce soit. C’est une zone qu’il ne connaît pas, il n’a pas d’attache avec eux, donc en réalité s’il négocie, il ne peut le faire qu’à travers les services maliens. Ces derniers ont des canaux qu’ils ont ouverts depuis longtemps. Je pense que ça se joue à ce niveau et pas ailleurs », affirme cet ancien ministre.

Un dénouement proche ?

Selon nos informations, Soumaïla Cissé se porterait plutôt bien, se déplace souvent et se trouverait dans l’entourage immédiat du chef djihadiste Hamadoun Kouffa. Mais à presque un mois de sa disparition, ses proches aimeraient en avoir le c?ur net. « Nous demandons une preuve de vie, un coup de fil, quelque chose pour que l’on soit rassuré, mais jusqu’à présent on n’a rien eu », déplore Salikou Sanogo. « Une preuve de vie serait en effet un gage d’une vraie négociation et ça ne m’étonnerait pas qu’ils le fassent pendant le ramadan, car le mois de carême dans les pays musulmans, c’est un mois où les présidents gracient des gens », avance cet officier malien des Nations unies.

Pour Abdoulaye, le dénouement n’est pas loin. « Ils vont libérer Soumaïla car ils ont dit qu’il serait libéré et qu’il pourrait retourner chez lui sain et sauf. C’est ce qu’ils nous ont dit. Ils l’ont fait avec nous donc, j’ai plutôt tendance à les croire. »

Olivier DUBOIS (LE POINT)

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