Le Mali ne doit pas devenir un nouveau terrain d’affrontement entre grandes puissances

Expulsion de l’ambassadeur de France, escalades verbales à propos de Wagner… Les tensions entre Bamako et Paris ne baissent pas, au risque d’affaiblir la lutte contre le terrorisme. Un spectacle qui afflige la jeunesse malienne, persuadée que les intérêts des populations ne sont pas réellement pris en compte.

Au début du mois de janvier, j’ai eu le plaisir d’intervenir devant le Conseil de sécurité des Nations unies. Depuis dix ans que mon pays connaît les conflits, la violence et l’instabilité, des dizaines de conférences et de sommets internationaux se sont tenus sans jamais vraiment faire de place à celles et ceux qui se mobilisent au quotidien pour plus de justice sociale, défendre les droits humains et construire un Mali en paix. Être invité à cet événement était donc bienvenu.

Car mon pays et le Sahel dans son ensemble sont riches de leurs sociétés civiles et d’une jeunesse dynamique et innovante. Après dix ans d’échecs des politiques mises en œuvre pour résoudre les crises sahéliennes, il est temps de changer de stratégie, de faire preuve de plus d’humilité et de développer des solutions communes dans lesquelles les populations locales se sentent réellement écoutées.

Manifestants à Bamako

Au nom de la jeunesse malienne

J’ai souhaité alerter la communauté internationale au nom d’Anta, une jeune fille du centre du Mali qui a été la première victime de la crise sécuritaire. Obligée de fuir son village pour trouver refuge dans un camp de déplacés, elle a été témoin du meurtre de ses parents par des groupes terroristes. Mais aussi au nom d’Amadou, un jeune homme du sud du pays à la recherche d’opportunités économiques, à peine sorti de l’adolescence, et qui doit quitter sa terre natale et s’aventurer en mer, risquant sa propre vie pour chercher une existence meilleure. Finalement, au nom d’une jeunesse malienne qui aspire à un avenir meilleur.

Après deux ans de lutte contre le Covid-19, un autre virus s’est propagé au Mali et au Sahel et ses nombreux variants alimentent dangereusement les crises et l’instabilité qui bouleversent notre région : le virus des inégalités sociales, économiques, politiques et environnementales. Il a provoqué des disparités flagrantes, notamment dans l’accès aux services essentiels. Rien qu’au Mali, seuls 2 % à 3 % des enfants des pasteurs nomades sont scolarisés et l’espérance de vie en bonne santé n’est que de 50 ans.

Ce virus prive des millions de jeunes Maliens du bonheur et contraint la plupart d’entre eux à vivre dans la pauvreté. Il mute et s’adapte en profitant d’un système corrompu par la mauvaise gouvernance politique, le manque de transparence et l’absence de démocratie. Ce qui signifie que beaucoup de mes compatriotes maliens ne se sentent pas partie prenante d’une société qui, au mieux, les ignore et, au pire, les exclut. Le virus des inégalités est sournois. Lorsque les pouvoirs et les richesses sont monopolisés par une petite minorité, la confiance dans le système qui permet cette situation est brisée. La détérioration de la crise malienne a mis en évidence l’inadéquation de la réponse militaire actuelle, qui n’a pas été en mesure de surmonter, ni même de contenir, les menaces. Les jeunes se retournent contre l’État, les plus fragiles rejoignent les groupes extrémistes pour des raisons financières et sécuritaires.

Bamako, Mali. Camp des déplacés de Sadia au marché à bétail de Niamana. 114 personnes, toutes peuls, originaires du village de Sadia (Centre du Mali) ont trouvé refuge dans ce camp insalubre de Niamana à Bamako, après l’attaque survenue le 13 décembre 2018 par des chasseurs traditionnels dozos.

Contrat rompu

Les jeunes Maliens regardent les médias avec perplexité en voyant les dirigeants prétendre soutenir le Mali tout en agissant dans leur propre intérêt, comme cela a été le cas en Syrie, en Afghanistan ou en Libye. Le Mali ne doit pas devenir un nouveau terrain d’affrontement entre grandes puissances – et le Conseil de sécurité de l’ONU a la responsabilité d’y veiller. Le Mali mérite mieux que de devenir un lieu de règlement de comptes politiques.

Malheureusement, le Mali est aujourd’hui confronté aux conséquences d’une mauvaise gouvernance politique et économique qui alimente le désespoir, la faim et la pauvreté, et les jeunes en sont les principales victimes. Cette question cruciale de la gouvernance a été trop longtemps minimisée par ceux qui prétendent vouloir résoudre les crises sahéliennes. Pourtant, elle est au cœur des défis auxquels nous sommes confrontés au Sahel.

On parle aujourd’hui de faire revenir l’État dans des régions dont il a été absent pendant des années et qui ont été reprises aux groupes dits jihadistes. Mais on ne s’interroge jamais sur la nature de ce que l’on parle de rétablir. Est-ce vraiment une solution de faire revenir un État souvent perçu par les populations comme indifférent à leur sort, voire comme prédateur ? Le Mali souffre d’un contrat social rompu. Notre défi n’est pas seulement de faire revenir l’État, mais de le transformer, ainsi que son action publique, pour qu’elle bénéficie à tous.

Nos problèmes trouvent leur source dans cette pyramide d’inégalités, qui sont comme un virus qui se propage, mute et tue. Pourtant, il existe des vaccins pour combattre cette épidémie. Combattre ces inégalités est tout à fait à notre portée, il n’y a pas de fatalité, juste des choix politiques qui ont été faits au bénéfice de certains et au détriment de l’immense majorité. Il s’agit notamment de réinvestir massivement dans des politiques sociales de qualité profitables à tous à travers une meilleure répartition des richesses et des pouvoirs.

Solutions locales

La communauté internationale a, à cet égard, un rôle important à jouer, à condition qu’elle intègre les solutions locales de gestion des conflits, de construction de la paix et de reconstruction d’un contrat social qui soit réellement inclusif. Il est temps d’en finir avec les décisions top down : des politiques et des budgets décidés à des milliers de kilomètres de Bamako, Niamey ou Ouagadougou et qui continuent de déterminer les besoins sur le terrain.

Compte tenu de la situation politique qui prévaut dans mon pays, j’en appelle au Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Union africaine pour qu’elles prennent l’initiative de trouver des solutions rapides à la situation politique entre le gouvernement malien et la Cedeao dans l’intérêt des citoyens, en particulier des jeunes, dont l’avenir semble de plus en plus sombre. La population malienne est la première victime des sanctions décidées le 9 janvier par la Cedeao, et pourtant, elle a déjà assez souffert. La jeunesse malienne est déjà engagée dans la refondation des mentalités et des comportements afin de faire renaître un véritable espoir et un renouveau dans notre pays.

Par Adam Dicko

Directrice exécutive de l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie, qui intervient au Mali pour promouvoir la justice sociale et les valeurs démocratiques.

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