Carnet de voyage : 10 jours pour rallier Bamako – Mondoro, la commune en « préjihadisation ; le récit d’Oumar Ongoiba raconte

Aller à Mondoro et ne pas mourir ! C’est le défi que notre reporter Oumar Ongoiba, s’est donné. Ce jeune homme, natif de la localité, a osé un voyage des plus périlleux dans cette partie du Mali à un moment où l’odeur de la mort n’arrête plus d’empester l’atmosphère. 

Bamako – Mondoro, la distance était couverte en moins de 2 jours à temps normal. Oumar y a consacré 10 jours. Cela, dans des conditions qui n’ont rien à envier au scénario d’un film Hollywoodien à grand budget.

Difficultés du trajet, insécurité ambiante, méfiance collective, psychose généralisée et surtout les toutes dernières attaques des camps de Mondoro et Boulkessi, notre reporter revient sur tout cela dans un poignant carnet de voyage.

Oumar ONGOIBA en personne

Carnet de Voyage     

Une décision osée

Élève – professeur à l’Ecole Normale Supérieure de Bamako, je ne me suis pas rendu chez moi à Mondoro, depuis plus de quatre ans. Cette année, malgré les écueils que j’allais rencontrer, je me suis résolu à aller voir mes parents.

Lorsque que j’ai parlé de mon désir de me rendre à Mondoro pendant ces vacances, amis, connaissances et mêmes parents au village me l’ont déconseillé, étant donné les risques que je devrais encourir.  Mais ma résolution était prise et je ne pouvais en aucun cas, annuler et même reporter ma décision de voyager. En effet, dès le début de l’année 2019, je m’étais fixé de réaliser un certain nombre d’activités prioritaires, dont le voyage sur Mondoro au mois de juillet ou d’août. C’est pourquoi, j’ai poliment répondu à tous mes interlocuteurs, que je les remerciais pour leur conseil de sagesse et que je sollicitais leurs bénédictions.

Dans ma décision « insensée » d’accomplir ce voyage, j’ai eu un compagnon aussi téméraire que moi, un camarade du village, étudiant comme moi. Cela m’a réconforté et rasséréné car un compagnon, c’est toujours bon, surtout pour un voyage aussi périlleux.

Dès le début du mois de juillet, mon camarade et moi avions décidé de partir de Bamako le jeudi 1er août 2019 et même envisagé de passer par le Burkina Faso. Malheureusement, depuis le mois de juin, les attaques terroristes avaient décuplé au nord et à l’est du Burkina, zone frontalière à la Commune de Mondoro ; sans oublier que dans cette commune,  à cause de l’insécurité permanente, les habitants n’arrivent plus à mener leurs activités comme à l’ordinaire et cela depuis plus de trois ans.

Dans cette atmosphère d’insécurité généralisée, notre premier écueil était le choix de l’itinéraire le moins dangereux, pour rejoindre Mondoro à partir de Bamako.

À la recherche du trajet Bamako – Mondoro, le moins risqué

D’après nos informations, jusqu’au mois de mai / juin, il y avait des voyageurs qui  passaient par le Burkina pour rejoindre Mondoro. Mais avec l’aggravation de la situation sécuritaire dans ce pays, ce trajet aussi est devenu dangereux et même très dangereux. Alors mon camarade et moi avons pris la décision de rejoindre notre village sans sortir du territoire malien. Pour ce faire, il fallait rejoindre d’abord Mopti. Là, deux itinéraires s’offriront à nous : soit rejoindre Mondoro par Koro, soit par Douentza, notre trajet ordinaire.

Nous sommes arrivés à Mopti le 1er août comme envisagé dans notre programme. De Mopti, on nous a indiqué que le voyage sur Mondoro peut se faire plus facilement en passant par Koro mais avec plusieurs étapes. D’abord Koro –  Dinangourou en automobile, puis Dinangourou – Mondoro par tricycle.

Forts de ce renseignement, nous sommes partis à Koro  le lendemain 02 août. Là, nous sommes restés deux jours sans véhicule. On nous avait dit qu’il y aurait une escorte. Rien. Les 03 et 04 août nous sommes restés à Koro, espérant avoir un hypothétique véhicule pour Dinangourou. Pendant ces deux jours, nous passions la journée à la gare sensée recevoir les véhicules à destination de Dinangourou.

Au troisième jour, tôt le matin, pendant que nous étions à la gare routière, un boutiquier qui nous avait certainement observés pendant ces deux jours, est venu à nous : « mes fils, depuis deux jours je vois que vous passez la journée ici. Et, j’ai comme l’impression que voulez-vous voyager ? » Oui, lui-dis-je. « Cher papa, nous voulons partir sur Dinangourou, puis rejoindre Mondoro. On nous a dit que c’était plus facile par ici ».

Mes fils dit-il, cela était peut-être vrai il y a deux mois, mais aujourd’hui, il n’y a presque pas de véhicules qui partent sur Dinangourou à moins que cela ne soit des convois militaires et il n’est pas évident qu’ils prennent des civils avec eux. Alors, nous avons pris la décision de repartir sur Mopti le même jour. Nous n’avions plus le choix, il fallait emprunter la nationale RN16, c’est à dire la route Sévaré – Gao, route presqu’impraticable et dangereuse à cause de la pose des mines sur la voie. Pratiquement, seuls les bus de la compagnie de transport SONEF relient Sévaré à Gao en passant par Douentza, Boni et Hombori, trajet réputé pour sa dangerosité.

Etat lamentable de la route
-Photo DR –

Malgré tout, nous n’avions pas le choix. Nous ne pourrions qu’emprunter un bus de la SONEF pour descendre à Hombori ; puis nous diriger vers le sud pour rejoindre Mondoro, à une soixantaine de km de là.

Le lendemain 05 août, nous avons donc pris un car de la SONEF pour Hombori où nous sommes arrivés vers 05 heures du matin du 06 août, avec la peur au ventre, car entre Douentza et Hombori, il n’est pas rare qu’un bus saute sur un engin explosif improvisé ou qu’il soit arrêté et, ses passagers dépouillés et même violées, s’agissant des jeunes femmes.

A Hombori, nous avons trouvé deux hommes de notre village, qui devraient aussi rejoindre Mondoro. Nous avons alors échangé et décidé de faire le voyage ensemble. Eux semblaient connaître l’itinéraire. Maintenant, il  fallait partir de Hombori, rejoindre un village situé à quinzaine de Km et mettre le cap au sud.

Après deux jours dans ce village dont je tais le nom,  nous allons nous rendre dans un autre village où vivent certaines familles alliées aux gens de Mondoro. Là, on nous a dit que la seule possibilité de déplacement pour  rejoindre ces deux villages était pédestre, car personne ne prendrait le risque de s’aventurer à moto dans la plaine.

Le lendemain 07 août, nous sommes partis pour le 1er village d’étape. Le 08 août, nous avons repris la route pour le 2ème village, notre 2ème étape  où nous sommes arrivés après trois heures de marche. Là, nous avons été bien accueillis car les deux autres compagnons de route que nous avons trouvés à Hombori avaient de la famille dans le village. Et, ils nous ont dit qu’eux, resteraient encore là, quelques jours et qu’ils nous souhaitaient bonne chance.  Ils ont ajouté que les jeunes qui devraient nous transporter à moto jusqu’à Mondoro, scrutaient d’abord l’horizon pour savoir s’il n’y avait pas de terroristes en mouvement avant de prendre le chemin de Mondoro. Prudents, ils ne prenaient la route que lorsqu’ils s’étaient rassurés que la voie était libre.  Quelques fois, cette attente pouvait durer une semaine et même davantage ont-ils ajouté !  Heureusement pour nous, le surlendemain 10 août, deux jeunes du village nous ont pris sur leurs motos pour nous déposer à Mondoro où nous sommes arrivés au petit soir.

Jamais je n’ai vu autant d’émotions dans ma famille dont plusieurs membres ne croyaient pas à leurs yeux. J’étais pour eux un extraterrestre. On n’entendait que : Oumar yeiya, Ama gana ! Oumar yeiya, Ama gana ! Traduisez : Oumar est arrivé, Dieu merci ! Oumar est arrivé, Dieu merci ! Je n’ai pas pu contenir mon émotion : je sortis un mouchoir et essuyai mes larmes. Je suppose que c’était une  scène semblable qui se déroulait dans la famille de mon camarade et compagnon de voyage.

Je ne sais pas comment va se dérouler mon retour à Bamako, mais en attendant je jouis du plaisir d’être parmi les miens et dans le village qui m’a vu naître. Et, avouons que je ne suis pas, peu fier d’avoir relevé le défi de me rendre à Mondoro, une commune de tous les dangers. Mais, pour arriver là, j’ai eu à déployer un trésor de subterfuges pour éviter de tomber dans les nasses des terroristes ou de quelques brigands de grands chemins.

Le trajet Bamako – Mondoro, qui ne dure pas plus de deux jours en temps normal, malgré le mauvais état des routes et malgré l’hivernage, s’est effectué en dix jours ! Et encore, que mon camarade et moi avons eu de la baraka selon certains habitués de ce trajet, un trajet de tous les risques. Après ces forts moments d’émotions de mon arrivée, quelques heures ont suffi pour me rendre compte du calvaire dans lequel vit la population de Mondoro. Malgré ma frustration de ne pas pouvoir leur venir en aide, je me sens heureux  à côté des miens.

Nous sommes en octobre, le temps a passé sans que je m’en rende compte. Mais, pour moi, il est temps de revenir à la réalité. Je dois songer à repartir pour Bamako. Les événements de la nuit du 30 septembre illustrent la dégradation de la situation.

À Mondoro, la population est clouée dans un embargo suicidaire

Que dire de la situation? S’est-elle améliorée depuis mon arrivée ? Malheureusement non ; au contraire, elle s’est empirée. En effet, ces derniers temps, les enlèvements des civils sont montés d’un cran. Cela s’explique par l’irruption de plusieurs groupes radicaux venus de je ne sais où et qui écument la commune de Mondoro, depuis le début du mois de septembre, nous confie un chef militaire, basé dans la zone. Le bilan s’élève à une  dizaine de personnes  capturées sur le tronçon Mondoro – Boni. Il dira que les assaillants sont venus du Burkina, de la Libye et de Tombouctou, en coalition avec les groupes radicaux de la commune de Mondoro.

Ayant ainsi occupé toute la zone, les assaillants ont contraint la population à un embargo suicidaire. Par faute d’approvisionnement, les centres de santé, les magasins et boutiques sont pratiquement vides de médicaments et de céréales et d’autres  produits de première nécessité.

Pour se déplacer de leur village à une autre localité, les habitants sont obligés de négocier parfois avec les convois militaires, sans quoi ils seront capturés et assassinés s’ils prennent le risque de voyager seuls. Alors, il faut craindre pour les populations de Mondoro, un « holodomor », c’est-à-dire une extermination par la faim : le mot n’est pas trop fort car, on a déjà vu dans cette zone,  notamment à Tiguila et à Yangassadjou des décès causés par « la maladie dite de Mondoro » qui n’est autre que la  malnutrition aiguë, selon MSF et l’OMS.

Soldats maliens en visite de ce qui reste du camp de Boulkessi
– Photo DR –

J’étais là, dans la sinistre nuit du 30 septembre au 1er octobre 2019

Ayant affamé les populations, les forces du mal ont décidé d’en finir avec ceux-là qui sont venus les protéger : les forces armées maliennes (FAMAS) et leurs alliés du G5 Sahel. C’est ainsi qu’il faudrait comprendre les attaques simultanées  des camps de Boulikessi et de Mondoro, opérées par les terroristes dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 2019. Mon témoignage sur ces attaques, porte sur celle de Mondoro, car j’étais là, la fameuse et sinistre nuit du 30 septembre 2019.

Pour votre information, sachez que, Mondoro, chef –  lieu de la Commune rurale du même nom, est situé à quelques 170 km au sud-est de Douentza. C’est une commune frontalière du Burkina Faso. Avec 5 598 km2 et 42 631 habitants (recensement de 2009),  la commune de Mondoro est la plus grande du Cercle de Douentza en termes de superficie et de population.

A cause de la situation d’insécurité permanente qui règne dans cette commune depuis 2013, les FAMAS ont installé des camps militaires à Boulkessi et à Mondoro. À Mondoro, on a installé de petites casernes aux quatre points cardinaux du village, à quelques mètres des habitations excentrées, utilisées généralement par des jeunes gens célibataires. C’est une tradition chez les dogons que des jeunes gens célibataires ne passent pas la nuit dans la grande famille. Ils dorment le plus souvent loin de la grande famille.

Etant célibataire, je passe la nuit hors de la grande famille et il se trouve que le logement que j’occupe n’est pas très loin d’une des quatre casernes du village.

Nuit du 30 septembre, je suis subitement réveillé par des bruits, le crépitement d’armes à feu. Puis j’aperçois des flammes qui prennent la direction de la caserne, accompagnées d’un bruit assourdissant. Je consulte ma montre. Elle marque 01 h 30 mn. J’entends des crépitements d’armes automatiques.

Passées les premières minutes de surprise, les soldats des FAMAS répliquent, des crépitements deviennent assourdissants. Des quatre points cardinaux du village, on entend des crépitements d’armes. Il semble que l’attaque s’est faite simultanément sur les quatre casernes. Cela sera confirmé par la suite. Je me demande ce qu’il faut faire. Pas question de dormir. D’ailleurs, même si je le voulais, le pourrai-je vraiment ? Non. Alors, j’ai pris mon fusil de chasse et me suis mis dans un coin. Il faut noter qu’avec cette situation d’insécurité généralisée, il est difficile de voir un jeune homme qui ne possède, ne serait-ce qu’un fusil de chasse.

Les tirs s’intensifient, j’entends des « Allahou akbar ! ». Pendant un moment, j’ai compris qu’on tirait en direction de ma maison. Alors, malgré la peur au ventre, j’ai riposté en tirant en direction de là où viennent les tirs de l’assaillant. En ce moment précis, j’étais prêt à en découdre avec quiconque voudrait m’agresser. Je ne sais comment, on dirait que le coup de fusil que j’avais tiré m’avait rasséréné et ragaillardi. La peur avait cessé de m’habiter. Vers 04 h 20, les crépitements d’armes avaient cessé, l’ennemi s’était retiré. Quel a été le bilan ? À ce je sache, il n’y a pas eu de victimes militaires. Chez les civils, il y a eu 2 morts et 3 blessés. Les morts et les blessés sont 5 jeunes gens qui, comme moi dormaient dans une maison excentrée, non loin d’une caserne.

A l’approche des assaillants, trois d’entre eux ont tenté de fuir. Ils ont reçu des balles. Par contre, deux jeunes ont été surpris dans leur sommeil et assassinés.

 

Dans une des casernes, ils ont pu emporter 2 pick-up, qui seront par la suite bombardées par l’armée de l’air qui aurait été dépêchée de Sévaré à 06 h du matin. On n’ignore le nombre de victimes des assaillants suite à ces bombardements.

Le CSCOM de la commune a été touché par des tirs de lance-roquettes.

Le matin, j’ai appris qu’une attaque similaire avait été perpétrée à Boulkessi mais que là-bas, la situation était très grave ; qu’il y avait plusieurs pertes en vie humaine et de blessés et que les assaillants auraient occupé le camp. Ils auraient emporté plusieurs matériels de guerre et brûlé certains. Ils ont été délogés par les FAMAS par la suite.

Quel avenir pour la Commune de Mondoro ?

Selon le lieutenant Oumar DAO, commandant la base de Mondoro, les attaques ont été planifiées de façon qu’elles soient simultanées dans les deux camps. Tout, porte à croire qu’ils referont leur coup tant qu’ils ne seront pas neutralisés.

Par ailleurs, selon les autorités locales,  le pire est à venir. Car, après l’attaque du 30 septembre 2019 qui causa la destruction des camps de Mondoro et Boulkessi,  les assaillants ont pu emporter tout un arsenal malgré les frappes aériennes de l’armée malienne. De ce fait, la population demande au gouvernement de prendre des mesures préventives avant que les assaillants n’utilisent ces armes contre les différents villages.

Selon les notables, nonobstant les frappes aériennes des FAMAS dans la commune, le mouvement des groupes radicaux ne fait que s’accentuer davantage dans les forêts de Kikoli, Hawango, Isseye, Djodjirèwè, Malougou et Beebi etc.

Malheureusement, en ce moment, les FAMAS restent cantonnées dans leur base et  ne font aucune patrouille dans la zone pour traquer les terroristes et bandits armés. Par conséquent,  il leur serait impossible de contrôler la commune.

Véhicule calciné des forces armées maliennes
-Photo DR –

Pendant ce temps, les habitants de la commune n’ont d’autre choix que  de se laisser dominer par les jihadistes ; d’abandonner leur terre ou de périr de faim. C’est dire que dans les faits, ce sont les jihadistes et leurs suppôts qui contrôlent globalement le territoire de la commune. C’est pourquoi nous disons avec le cœur meurtri que la commune de Mondoro est en voie de « jihadisation » ou qu’elle est en « préjihadisation ».

Mondoro le, 03 octobre 2019

Oumar Malick Ongoïba, Élève – professeur en vacances à Mondoro

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