L’ACTUALITÉ VUE PAR… Chaque samedi, Jeune Afrique invite une personnalité à décrypter des sujets d’actualité. À la veille du sommet extraordinaire de la Cedeao sur le Mali, l’ex-ministre de la Justice d’IBK réagit au nouveau calendrier du gouvernement de transition et alerte sur les risques d’isolement de son pays.
« The clock is ticking ». La sobre mise en garde adressée aux autorités maliennes par Goodluck Jonathan, le médiateur de la Cedeao, à l’issue de sa rencontre avec Assimi Goïta, mercredi 5 janvier à Bamako, cache mal la montée des tensions à la veille du sommet extraordinaire qui doit se tenir ce dimanche 9 janvier à Accra. Les chefs d’État ouest-africains vont se pencher sur la situation politique du Mali, et en particulier réagir à la présentation, par son gouvernement, d’un chronogramme qui prévoit une élection présidentielle dans cinq ans – et non plus en février prochain. « Inacceptable » pour la Cedeao, qui prévoit de saisir l’Uemoa en vue de prendre un nouveau train de sanctions à l’encontre du pays.
Ancien ministre de la Justice d’Ibrahim Boubacar Keïta, dont il était un proche, Mamadou Ismaïla Konaté a démissionné en 2017 après un très médiatique bras de fer avec l’activiste Ras Bath. Aujourd’hui, s’il s’affirme non partisan, il continue d’être très actif sur la scène politique. De tribunes en interventions dans les médias, les avis parfois tranchés de cet avocat qui adopte une posture de sentinelle de la démocratie lui valent d’être régulièrement critiqué par les soutiens d’Assimi Goïta. Pour Jeune Afrique, il livre son analyse de la situation du Mali et met en garde contre les risques que feraient peser une rupture de ses relations diplomatiques avec les pays de la sous-région.
Jeune Afrique : Fin décembre, le gouvernement de transition a soumis à la Cedeao un chronogramme électoral pour demander une prorogation de cinq ans au sortir des Assises nationales de la refondation. Comment analysez-vous cette demande ?
Mamadou Ismaïla Konaté : Je pense qu’il y a eu là une méprise, et que celle-ci pourrait coûter cher au pays. Le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop est allé rencontrer Nana Akufo-Addo en portant un message supposé être fondé sur les conclusions des Assises nationales de la refondation. Or, celles-ci n’évoquent ces cinq années que comme une durée « plafond », elles parlent aussi d’un délai de six mois. Personne, dans les faits, n’a mandaté le gouvernement pour fixer cette durée de cinq ans. Et s’il est vrai que l’organisation d’élections en février paraissait incohérente, à tout le moins, le gouvernement malien aurait dû proposer une durée plus réaliste.
Qu’attendez-vous du sommet extraordinaire de la Cedeao à Accra, ce dimanche 9 janvier ?
Étant donnée la violation flagrante de nos engagements, nous risquons malheureusement gros. Sauf surprise, il faut s’attendre à des sanctions économiques, et le Mali risque rien moins que l’excommunication de la scène diplomatique. À mon sens, il est urgent de proposer un nouveau chronogramme. Pourquoi ne pas, par exemple, fixer la date à février 2023, et tout mettre en œuvre d’ici là pour parvenir à un consensus qui engage aussi bien les politiques que les autres composantes de la nation ?
Les organisations politiques et de la société civile qui ont boycotté les Assises nationales de la refondation s’opposent à ce report des élections. Mais ont-elles la capacité de mobiliser face au pouvoir militaire ?
Malheureusement, non, elles ne font pas le poids. Mais dans la perspective d’une nouvelle démocratie qu’il nous faut instaurer, il faut prendre en compte toutes les minorités, toutes les oppositions. Nous sommes en train de parler de la construction d’un État, le Mali, d’une nation déchiquetée. Et une partie des leaders politiques, qui représentent des forces présentes de longue date sur l’échiquier politique, ne se reconnaissent pas dans les conclusions des Assises. Il revient au chef de l’État d’aller les chercher, de ne pas les laisser sur le carreau. Quels que soient les problèmes, tourner le dos à l’imam Mahmoud Dicko, par exemple, n’est ni un gage de paix ni de concorde nationale.
Le déploiement de mercenaires de la société russe Wagner a donné lieu à de vives critiques de la part de plusieurs des partenaires du Mali sur le front sécuritaire. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
Les Occidentaux affirment en effet que le gouvernement malien se fait aider par une milice privée d’origine russe, mais, à l’heure actuelle, on n’a jamais vu d’images ou la moindre preuve de ce déploiement. Jusqu’à preuve du contraire, faisons confiance au gouvernement.
Mais il faut aussi rappeler les limites de ce que l’on peut et ne peut pas faire en République. Le choix de recourir à une milice privé étrangère est tellement grave qu’il ne revient pas à un gouvernement de transition de le faire. À tout le moins, le Conseil national de transition devrait se saisir de la question.
Après les sanctions prononcées par la Cedeao et l’exclusion du Mali de l’Agoa [cadre législatif régissant les échanges entre les États-Unis et l’Afrique], le sommet d’Accra pourrait aboutir à de nouvelles sanctions économiques… Comment le pays peut-il sortir de cet isolement diplomatique ?
Le Mali est effectivement en rupture de ban avec nombre de ses partenaires. Vous citez les États-Unis, et dans ce cas, on ne peut les soupçonner d’avoir une arrière-pensée coloniale, comme on en fait le reproche à la France. C’est la rupture de l’ordre constitutionnel qui a provoqué ces conséquences désastreuses.
Il faut arrêter de se taper la poitrine en se prenant pour les petits-fils de Soundiata Keïta qui était, lui, un soldat vertueux et qui tenait les engagements qu’il prenait. Il faut que l’on se rappelle qu’en 2012, nous sommes allés chercher l’aide extérieure. Certes, cette présence militaire n’a pas permis de juguler la menace terroriste. Mais dans le même temps, nous n’avons pas été en capacité de rebâtir une armée digne de ce nom. Et voilà que nous en sommes aujourd’hui à nous résoudre à dialoguer avec les terroristes…
Source JEUNE AFRIQUE